– Dis Papa, mais d’où vient la choucroute ?
– Mais enfin mon fils, la question elle est vite répondue…


Ah oui ? Vous pensez que l’histoire est si simple que ça ?
Qui n’associe pas la choucroute à l’Alsace, ou à sa proche voisine l’Allemagne ? Choucroute garnie, choucroute en accompagnement, le chou a la cote dans l’Est de la France. Et pourtant, ce ne serait peut être pas si local que ça…

Concernant le chou, pas de doute possible. Il était là bien avant nous, et connu comme légume depuis l’Antiquité, où il a été domestiqué. Nous y reviendrons dans un autre article sur la domestication du chou ! Légume formidable, on a vanté ses vertus à travers les siècles. Mais qu’en est-il de la choucroute ?

Que se passe-t-il dans la choucroute au juste ?

Fabriquer la choucroute, c’est tout un processus. Mais pour résumer, c’est un peu comme fabriquer un super-chou zombie, qui va se conserver pendant des mois. DES MOIS ENTIERS. Concrètement, il faut prendre un chou et le couper en fines lamelles, puis le disposer dans un pot en mélangeant avec une certaine quantité de sel (entre 1,5 et 4% de sel). Il faut ajouter par dessus un poids, pour s’assurer que le chou reste immergé dans son jus en permanence. Et là, la magie opère : grâce à un phénomène que l’on appelle l’osmose, la forte concentration en sel à l’extérieur va faire sortir l’eau des lamelles de chou. La quantité de sel est suffisante pour empêcher des mauvaises bactéries de se développer, ou des moisissures… mais pas assez forte pour empêcher des bactéries utiles de fonctionner. Les coupables ont des noms étranges : Leuconostoc mesenteroides, Lactobacillus brevis ou encore Lactobacillus plantarum.

Leuconostoc mesenteroides – photo sur le Wikipedia des microbes.

Ces dernières vont s’assurer de commettre une réaction fabuleuse : la fermentation anaérobie. Elles vont dévorer les sucres, bien à l’abri de l’oxygène dans le jus de choucroute immergé. Toute trace des composés qui rendent le chou amer et piquant va alors disparaître, pour libérer une faible acidité qui va conserver la vitamine C.
Le processus a bien sûr été industrialisé, se faisant dans des réacteurs à fermentation pouvant désormais contenir plus de 100 tonnes de chou !

Le saviez-vous ?

Lors de ses explorations, le Capitaine James Cook, explorateur et capitaine de la British Royal Navy réquisitionna en 1768 assez de choucroute pour nourrir ses 70 membres d’équipage lors de ses longs voyages en mer, à raison de 900g par homme et par semaine. Assez pour un apport journalier d’environ 150mg de vitamine C par homme. Une carence de cette vitamine, liée à l’absence de produits frais à bord, provoquait une maladie terrible : le scorbut. Problème : l’équipage refusait de le manger. Le capitaine dut utiliser le subterfuge d’en faire étalage en grandes quantités à la table des officiers, pour que les matelots acceptent enfin d’en manger.

Mais qui a inventé la choucroute ?

Une légende voudrait que Genghis Khan en personne apporta en Europe la choucroute à dos de cheval, depuis les vastes plaines d’Asie Centrale. Si cette histoire a l’air un tantinet romancée, on sait que les Huns sont bel et bien passé par l’Alsace en l’an de grâce 451, après avoir échoué à conquérir la Chine. C’est à cette époque que la technique de fermentation du chou évoquée précédemment apparaîtrait chez nous, même si des techniques de conservation dans le sel ou le vin auraient déjà été connues depuis l’Antiquité.

La choucroute aurait déjà été utilisée au IIIème siècle en Chine, lors de la construction de la Grande Muraille de Chine, même si nous n’avons pu retrouver aucuns documents originaux concernant cette hypothèse. On sait en revanche que des techniques de fermentation du chou et d’autres légumes sont abondamment décrits dans l’un des plus vieux traités d’agriculture chinois ayant subsisté, daté du VIe siècle : le Qimin Yaoshu, traduit par « Techniques pour la Paysannerie ».

Extrait du Qimin Yaoshu


Un historien de l’alimentation, Joyce Toomre affirme que la choucroute serait donc arrivée un peu plus tard l’invasion des Huns, par la Russie et l’Europe de l’Est suite à l’invasion Mongole de 1237, et en même temps que des épices nouvelles comme la cannelle ou le safran.

Illustration : Théotime Noël

Il faut attendre le 17ème siècle, dans un recueil de recette intitulé sobrement : « Le Thrésor de santé, ou mesnage de la vie humaine, divisé en dix livres. Lesquels traictent amplement de toutes sortes viandes & breuvages, ensemble de leur qualité & préparation. Oeuvre autant curieuse & recherchée, qu’utile & necessaire. Faict par un des plus célèbres & fameux médecins de ce siècle. » par Jean Antoine Huguetan, pour avoir la première description de la choucroute que nous connaissons aujourd’hui, avec les baies de genévrier, d’épine-vinette et de poivre. Dans cette recette, une origine germanique est mentionnée.
Quoi qu’il en soit, le plat est présenté à Louis XIV au cours de l’histoire de France, sans remporter son adhésion… cela explique peut être que la choucroute soit amplement restée cantonnée aux régions les plus germanisées de France. Du moins jusqu’au grand retour de la région dans le pays de Molière après la 2ème Guerre Mondiale. La choucroute a désormais sa place dans la gastronomie française, au point d’avoir été appréciée par l’un de nos présidents, dont on garde apparemment cette citation dans les archives :

« Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière. » 

Jacques Chirac 

Son nom lui est directement dérivé de « sauerkraut » en allemand, littéralement « chou aigre ». On en retrouve un dérivé au XVIIIe siècle « sorcrote » qu’on a ensuite transformé en chou… Notez que « Sauer » veut dire « aigre » et que « croute » n’a rien à voir avec une quelconque « croûte ».

En tout cas, peu importe d’où vient la choucroute, Genghis ou pas Genghis, on est bien contents que ce soit devenu une spécialité régionale !
Et pour les moins viandards d’entre vous, sachez qu’il existe des alternatives à la choucroute-saucisse, avec la « choucroute de la mer » proposée dans certains restaurants strasbourgeois, ou plus récemment des choucroutes accompagnées d’authentiques saucisses véganes.

Voilà, ainsi s’achève cette petite chronique pour la rubrique « Chou pas Sorcier », celle qui vous permettra de briller avec des anecdotes insolites à chacun de vos repas de famille ! Et si vous n’êtes pas très choucroute-saucisse, testez la recette insolite de gâteau à la choucroute !

Quelques références :
– Bierschenck BP. Ernährung in der Hauswirtschaft: ausgewählte Fachthemen. Verlag Neuer Merkur GmbH; 2003.
– Muckenhoupt, M. Cabbage: A Global History. (Reaktion Books, 2018).
– Toomre, J., ‘A Short History of Shchii’, Food in Motion: The Migration of Foodstuffs and Cookery Techniques: Proceedings: Oxford Symposium, vol. ii, ed. Alan Davidson (Oxford, 1983) – Texte complet sur Google Books

Chou-Calée

Des anecdotes décalées mais des sources en béton armé !
IRL (IN REAL LIFE – ça veut dire dans la vraie vie) Eléa est chercheuse et vulgarisatrice. Elle pourfend l’indifférence aux plantes et à tout ce qui les concerne.

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