Déraisonnable, sans doute, de baptiser un article ainsi. C’est pourtant la réaction d’un ami à qui je racontais deux anecdotes sur l’utilisation de mon smartphone.

Je suis utilisateur Apple. Je n’assume pas entièrement cette fidélité, mais cela fait plus de 13 ans (et 3 terminaux différents) que je change facilement de machine sans perte de données, grâce à un efficace système de sauvegarde via un ordinateur. Tous les OS le proposent désormais, me direz-vous, mais ce n’était pas le cas à l’époque. Je pourrais bien sûr changer, mais il est vrai que j’éprouve un certain confort à l’utilisation d’un système d’exploitation que je connais par coeur.

« C’est rare, les bugs, chez Apple »

Et pourtant…

Pourtant, de nouvelles situations m’agacent au plus haut point. Elles me paraissent exponentielles ces dernières années et importantes à partager ici.

La première concerne la SNCF. Il y a quelques jours, je commandes des billets de train pour un trajet local, et me rend sur la nouvelle et merveilleuse plateforme (il y aurait d’ailleurs un autre sujet à traiter ici…) sncf-connect.com sur laquelle je fais l’acquisition de deux titres de transports XLMR4 et WXYZ8. Muni de mes codes, je m’apprête à importer mes billets dans Oui.scnf, version mobile, que j’utilise en guise de billet virtuel.

La synchronicité est évidemment logique : l’application ne fonctionne plus et il me faut désormais télécharger Sncf-Connect pour pouvoir donner à scanner mon QR Code. Là arrive le twist : l’application n’est compatible qu’AVEC le nouvel iOS, mais je peux télécharger la dernière version encore compatible (ce qui, au passage, me fait sentir légèrement out-of-date et mis au pied du mur) : OK, c’est parti, pas le choix. Mais mon smartphone ne réagit pas comme d’habitude. J’ai beau cliquer sur Télécharger, le pop-up revient sans cesse et sans cesse. Le téléchargement ne se lance. Je suis face à une faille technologique. Je clique, trois fois, six fois, douze fois pour en être bien sûr. J’ai l’impression de devenir épileptique. J’hésite à appeler la Pomme, j’hésite à faire une crise d’angoisse volontaire, à me noyer dans un verre d’eau ou à jeter mon terminal par la fenêtre (l’effet est volontairement exagéré pour les besoins de cet article, je fus juste agacé quelques secondes, ndla), puis je réfléchis : « hmmm, je vais simplement télécharger mes billets via ma boîte mail ». C’est chose faite quelques secondes plus tard.

La même chose se produit avec Signal quelques jours plus tard, sauf que je réalise (ce genre d’illumination auxquelles nous poussent les concepteurs 🤦🏻‍♂️) que je peux cette fois supprimer l’appli et la re-télécharger, puisque contrairement à notre chère compagnie nationale du cheval de feu elle n’a pas changé de nom ni d’interface. Notons au passage que toutes-mes-discussions-sont-supprimées, malgré le ré-import de mon numéro, mon NIP et mes contacts. Tant pis.

« Le monde il évolue, hein »

Je n’ai à priori aucune réticence à changer d’OS, mais mes dernières expériences (2 téléphones, des discussions avec d’autres utilisateurs) m’ont indiqué que le bât blesse justement à ce stade : les nouveaux OS ralentissent les téléphones. Ils ne font en réalité pas que les ralentir, ils les font s’éteindre, bloquer, laguer, bref ils les rendent chiants. A tel point que mes deux derniers changements de téléphone ont été la conséquence directe de mon agacement face à cette lenteur et ces bugs.

Bien sûr, il est impossible de prouver une forme d’obsolescence programmée tout comme il m’est impossible de prouver que les changements d’OS ne sont pas indispensables. Qui serais-je pour argumenter face à un développeur compétent que « peut-être, avec un OS strictement similaire mais juste quelques corrections de failles de sécurité lors des mises à jour, on pourrait maintenir un téléphone en état de marche pendant de nombreuses années… » . Certaines associations semblent d’ailleurs l’envisager au niveau soft et hadware et nous proposent de tenter l’expérience.

Je n’avais pas non plus d’à priori particulier à changer de téléphone (surtout que le reconditionnement s’impose tranquillement mais sûrement en France, avec des acteurs comme BackMarket.com) pour évoluer, profiter de nouveaux outils et de toutes ces fonctionnalités qui font un peu rêver quand un copain nous montre le nouveau mode nuit de son appareil photo embarqué, ou la qualité sonore de hauts-parleurs miniaturisés incroyables sur son nouveau terminal (fut une époque où le dernier cri était de supprimer l’entrée jack du GSM, rappelons-le quand même). Sauf que… sauf que.

Où est le technofascisme ?

Sauf que le temps presse. Mon instinct me pousse très sérieusement à endurer un peu ce passage pas-si-difficile du deuil d’applications et de fonctionnalités dont je n’ai peut-être pas tant besoin. Grand bien me fasse, de savoir que mon train aura 5 minutes de retard sur l’application : je le verrai en gare. Qu’il fera beau à mon arrivée ? Je vais à 30 kilomètres, et je l’aperçois déjà dans le ciel. D’avoir perdu mes conversations sur Signal ? Je sais à qui je dois écrire, et ce n’est peut-être d’ailleurs pas plus mal que ma mémoire fonctionne un peu.

A chaque téléphone fabriqué, c’est un peu de notre futur que nous détériorons. BackMarket lui-même le signale sur son site : « un rapport récent de Greenpeace calculait que la consommation d’énergie requise pour fabriquer les smartphones depuis leurs tous débuts équivaut approximativement à la consommation annuelle de l’Inde toute entière, soit un pays où réside un cinquième de la population mondiale ! Et ce ne sont généralement pas des énergies renouvelables. ».

Face à un rapport du GIEC qui nous indique qu’il est déjà presque trop tard, il me semble difficile à croire que les fabricants de smartphone puissent faire semblant d’oublier un bug tel qu’il empêche les mises à jour. Apple est par ailleurs absolument irréprochable sur l’UX : traductions totales (là où Microsoft oublie régulièrement des messages d’erreur en anglais, par exemple), navigation fluide y compris dans les paramétrages les plus profonds, processus de sélection des applications drastique, etc. C’est sans doute là que se situe le fascisme, dans ce flou qui laisse la place au doute : « et si ils n’avaient pas fait exprès d’empêcher la mise à jour ? Que l’OS soit lent ? Qu’on ait du mal à garder un iPhone plus de 5 ans ? ». Et vous, vous y croyez ?

Un dernier exemple que je trouve fascinant concerne un ordinateur Apple que j’utilise depuis désormais plus de 10 ans (celui-là même avec lequel j’écris cet article). Il y a 3 ans, certaines touches se sont mises à ne plus fonctionner – essentiellement les voyelles. J’ai appelé Apple, qui m’a indiqué qu’il n’y avait qu’un réparateur agréé qui pourrait régler le problème. J’ai laissé tombé et acheté un clavier externe une vingtaine d’euros, qui fait le travail. Sauf qu’à quelques rares occasions (notamment dans le train, où sortir mon clavier est plus fastidieux) j’ai pu assister à un phénomène intruguant : les touches remarchaient. Pas en forçant, pas en appuyant plusieurs fois dessus comme lors du bug, juste en glissant les mains sur les touches. Cela dure quelques minutes, puis ça redéconne. Mais une chose est sûre, ce n’est pas matériel, c’est logiciel. J’ai raconté ces anecdotes, mon ami a été formel : la frontière entre le complotisme et le fascisme est ténue.

Fascisme, vraiment ?

Le Larousse est formel dans sa 3ème définition du terme : « fascisme : attitude autoritaire, arbitraire, violente et dictatoriale imposée par quelqu’un à un groupe quelconque, à son entourage. ».

Dans le cas qui nous intéresse :

  • l’attitude autoritaire n’est pas imposée par quelqu’un mais par une supraentité (Apple) qui empêche l’accès à des services de base : l’utilisation d’un billet, des conversations virtuelles
  • de manière peu arbitraire (la limitation est exclusivement cantonnée aux utilisateurs de terminaux considérés comme obsolètes)
  • sans violence avérée, même si certains y verront une forme de contrainte excessive lorsqu’un accès à un billet de train ou à des discussions sont rendus difficiles dans des conditions normales
  • c’est le sens du terme dictatoriale qui ouvre ici le débat. Tant qu’Apple n’est pas le seul OS disponible sur le marché, en position de monopole, il est encore possible de changer de crèmerie pour ne plus subir de difficultés à mettre à jour ses applications et garder un accès à ses services favoris. Le problème réside, comme l’identifiait Serge Halimi en août 2021 dans le Monde Diplomatique, dans le fait que les supraentités technologiques (Apple comme Google, Microsoft ou Facebook) sont désormais rejointes dans la mise en place de leurs parcours obligatoires par les gouvernements : pensons à la dématérialisation permanente (impôts pour les particuliers, cotisations pour les indépendants, QR Code pour tous) et au recours systématique à un tout-digital reléguant les exclus du numérique à des citoyens de seconde zone – du moins dans la perception. Il s’agit d’un danger qui, couplé à d’autres sentiments de relégation sociale (fracture territoriale villes-campagnes, sortie de l’emploi, moindre accès aux services médicaux, sociaux, de transport) peut expliquer un ras-le-bol global qui n’est pour l’instant exprimé que de manière fragmentée (Gilets Jaune, vote de contestation, complotisme) mais qui pourrait, à terme, figer définitivement un clivage mortifère.

Chou-Raveur

Son sens de la teuf n’est pas piqué des hannetons

Dans le monde réel, Julien est journaliste, référenceur et musicien. Il ne sait pas encore ce qu’il veut faire quand il sera grand, mais ça ne l’empêche pas d’avancer.

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