Une nouvelle de Thomas Valentin

Ce soir rasé de frais sur son 62 Virgile Mickoze invite au restaurant Marie-France Choukrane
avec le secret espoir de l’inviter ensuite à tester les ressorts de son matelas. Il n’a pas fait les
choses à moitié. Il a choisi la crème de la crème : le gastronomique Au pied de Laroche, 1
étoile Goodyear. Il est 20h pétante. Il est un peu nerveux, époussette sa veste, vérifie sa
coiffure dans le reflet d’une vitrine et pousse la porte.


Devant ce que certains appelèrent la « vague vegi-vegan » qui déferla dans les contrées de
tradition vachement vachivore dans la deuxième décennie du XXIème siècle , se forma en
réponse un front terroriste danois qui revendiqua plusieurs attentats au salami piégé dans des lieux de bouffe légumière. Fondé par un boucher charcutier traiteur originaire d’Odense
répondant au nom de Lars Moller (avec une barre oblique sur le o), l’organisation
« Salamiste » – comme Le Figalibérobs la baptisa – se ramifia bientôt dans toute l’Europe
viscéralement attachée aux coutumes barbaques, en sections nationales, régionales, et même municipales : Chorizistes chez les Ibères, Knackistes en Alsace, Coppistes et Figatellistes en Corse, Saucistes à Montbéliard et Morteau, Leberwurstistes en Germanie, Parmistes à Parme, Mortadellistes en Emilie-Romagne, Rillettistes au Mans etc…


Les obséquieuses courbettes du serveur exécutées, Virgile est conduit à la table dressée. Elle est vide. Il s’assoit. Elle est moitié pleine. Marie-France arrive cinq minutes plus tard,
discrètement parfumée, volubile, ensoleillée. Elle est pleine. La table. Souhaiterait-on
commander un apéritif ? On le souhaite. On commande. Tout est très chic : la déco boisée, les serveurs repassés, les toilettes chromées, l’argenterie lustrée… on bafouille des banalités sans consistance ; manifestement on est un peu gêné alors on se plonge dans les cartes.

Virgile qui s’est pourtant préparé psychologiquement, ne peut s’empêcher de tressaillir à la vue des grandeurs arithmétiques vraiment grandes ; il sent déjà l’âcre fumée s’exhaler de son portefeuille.


Ce fut lors d’un événement d’altermondialistes granivores à Genève que les Coppistes firent
le plus de dégâts en piégeant plusieurs stands de farine, soja germé, légumineuse et pâté
végétal. Par la suite, les Guéménistes s’illustrèrent en prenant en otage, la militante anti-
bidoche Cécile Drupe qui mourut étouffée sous une tonne d’andouille bretonne. C’en était
trop : c’était la goutte de sang porcin qui débordait du boudin ! rugirent certains radicaux de la racine qui s’organisèrent et répliquèrent en atomisant des boucheries et des lieux de bouffe carnée à la banane flambée, au canon à potiron, à la carabine à carotte, au fusil à persils, au lance-roquette vinaigrée et à la grainade de courge. Ce fut l’escalade : des usines de tofu furent bombardées de tripes avariées ; des abattoirs se concassèrent sous un déluge de pois cassants sous pression… On somma l’indécis, le sans-avis-fixe bêtement omnivore de se positionner dans le conflit « côte de bœuf / cotte de blette » sous peine de finir en compost ou en ragoût.


– Je vais prendre le Micamenu avec la gagalette de Saint Malo accompagnée de son
espumagmatique et le gratinite à la rose façon Perros-Guirec.
– Le souhaitez-vous fondant, croquant ou cru le gratinite ?
– Plutôt granuleux, si c’est possible.
– Bien sûr, monsieur. Souhaiteriez-vous boire quelque chose ?
– Je pensais partir sur un Largile de 2054 mais…
Il balbutia une suite de phonèmes imbitables au lieu de dire en toute simplicité « je crains que stomacalement parlant qu’il ne nous alourdisse. »
– Je vous conseille plutôt un alliage géologique moins plutonique comme le Grand cru
Lafalèse, 2062, une année exceptionnelle. Il saura, grâce à sa minéralité plus douce mais qui toutefois ne manque pas de vigueur sédimentaire dans l’arrière glotte, accompagner à
merveille les mets que vous avez choisis.

Pullula ensuite tout un tas d’abcès groupusculaires déviant des furoncles primordiaux tels que les crudivores (qui s’étripèrent entre les fanas du mi -cuit, les fêlés du mi-cru et les givrés grand-cru), les mycophages (beaucoup de leurs adeptes moururent de méconnaissance), les acierophages qui se scindèrent en deux unités rivales (les Zalliages et les Zalliés), les carné-crudivores, les courbophages (n’ingérant que des aliments issus de l’agriculture pratiquant la plantation non linéaire et asymétrique), les détritivores, les vermivores, les spongiphages, etc.
La guerre des régimes déchira l’Europe dont les coutures menaçaient déjà de craquer de toute part.


Les entrées furent servies. Marie-France n’avait pris qu’une simple salade de gypse et quartz.
Virgile, exagérant les préliminaires olfactifs et visuels, but une gorgée du liquide débouché
sans bruit par le garçon classe. Il fut surpris de reconnaître dans ce jus de silice, l’antique vin
de Bordeaux (comment s’appelait-il déjà ? Chapeau Charclot ? Chasseau Perdrot ?) qu’il
avait autrefois dégusté chez un ami gourmet. Décidément les petroculteurs faisaient de
prodigieux progrès, songea-t-il.
Après avoir bouffé la poussière, l’humanité se mit alors à lécher, sucer, mâcher, engloutir du
caillou et ma foi, Virgile et Marie France se régalaient.

Chou-Raveur

Son sens de la teuf n’est pas piqué des hannetons

Dans le monde réel, Julien est journaliste, référenceur et musicien. Il ne sait pas encore ce qu’il veut faire quand il sera grand, mais ça ne l’empêche pas d’avancer.

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